Ce que doit défendre la gauche en Arménie — I/L’enclave qui gênait le marché

 

Réflexions sur la guerre de septembre 2020 et ses conséquences

Par Vahan Ishkhanyan 28 février 2021

Traduit de l’arménien

Cet article date maintenant de plus de six mois. Certains phénomènes* ne sont plus d’actualité ou ont évolué, mais l’ensemble de la situation est tel que l’argumentaire reste complètement valable au moment où nous publions ce texte.

Nous avons décidé de le traduire et de le publier en trois parties.

(*Comme le mouvement de rue « pour le salut de la patrie » qui s’est dispersé, mais dont certains membres ont ensuite obtenu quelques sièges à l’Assemblée sous d’autres étiquettes, durant les élections anticipées en juin dernier, qui ont vu cependant Nikol Pashinyan se faire réélire à une large majorité. Mais aussi la situation dans le Syunik qui se voit convoité par les forces azerbaïdjanaises en toute illégalité, et s’est aggravée depuis février 2021).

Après la chute de l’URSS, l’aggravation des crises économiques et des inégalités sociales (appauvrissement de l’écrasante majorité de la population et enrichissement d’une toute petite minorité) n’ont été imputées qu’à la personnalité des dirigeants de l’époque : Levon Ter-Petrossian et le milieu que constituait son parti, le HHSh (en français : CNA, Congrès National Arménien), ses successeurs Robert Kotcharian et Serge Sarkissian ainsi que leur entourage politique que l’on surnomme communément « le clan kharabaghiote » ; enfin, Nikol Pashinyan et son rassemblement « Im Qayle »[1]

En réalité, la cause principale de ces crises post-soviétiques est le libéralisme économique, dont le discours, moyennant la diabolisation du système soviétique, permit d’évincer ce qui restait encore de parti communiste dans la République et de conquérir, ainsi, tout le paysage politique arménien.

En 26 ans d’indépendance, toutes les forces politiques aussi bien au pouvoir que dans l’opposition, sont restées d’obédience libérale ; en effet, même la Fédération Révolutionnaire Arménienne (FRA) ainsi que le fondateur du Parti Démocrate (l’ancien premier secrétaire du parti communiste Karen Demirdjian) sont -dans une certaine mesure -libéraux. Ils promeuvent tous le libre marché, la privatisation des ressources et des institutions financières, les plus radicaux étendant cette logique aux structures étatiques et même jusqu’aux forces armées. Et, face à l’inefficacité de cette politique économique, qui doit être « la solution pour mettre fin aux inégalités ainsi qu’aux injustices », c’est aux qualités morales de ceux qui exercent le pouvoir que les oppositions l’imputent, arguant que ces derniers ne saisissent pas ce qu’implique réellement le libéralisme.

1 – Pashinyan ou le néolibéralisme assumé au pouvoir

Les conflits chroniques entre la majorité et l’opposition ont mené finalement à la victoire de cette dernière en 2018, sous la forme de la « révolution » dite « d’amour et de fraternité ».

Si révolution il y a eu, elle est idéologique et c’est dans les milieux libéraux qu’elle a eu lieu où le libéralisme débridé a remplacé une posture jusqu’alors modérée ; « Mon pas » et le Premier Ministre Pashinyan, sont les acteurs d’un libéralisme économique radical.

En voici quelques preuves :

  1.  Le gouvernement Pashinyan a supprimé l’impôt progressif sur le revenu et l’a remplacé par un système homogène d’imposition qui a réduit la part imposable des revenus très élevés. Sous le gouvernement précédent (Sarkissian), la part imposable du revenu était de 23 % pour les salaires allant jusqu’à 150 000 dram par mois (soit environ 260 euros par mois), 28 %  pour les revenus allant de 150 000 à 2 millions de dram par mois (entre environ 260 et 3450 euros par mois), et de 36 % pour les salaires supérieurs à 2 millions de dram. Depuis le 1er janvier 2020, le taux d’imposition est fixé à 23 %  pour tout niveau de revenu confondu[2].
  • Comme nous l’évoquions plus haut, le gouvernement a également engagé la privatisation des structures étatiques. Parmi ceux-ci, les services d’audit, les maisons de retraites, les orphelinats. Sous prétexte de ravitailler les caisses de l’État, le gouvernement engage la marchandisation de tout ce qui touche au soin des personnes en encourageant les prestataires privés à formuler des offres compétitives pour financer ces services. Le service de restauration de l’armée a également été livré à des compagnies privées dont l’incompétence se révéla au grand jour durant la dernière guerre d’Artsakh, lorsqu’elles renoncèrent à organiser l’approvisionnement de nourriture sur la ligne de front, faute de moyens, si bien qu’un certain nombre d’unités restèrent affamées pendant plusieurs jours.

Ainsi Ani Kaghinian, militante des droits humains, écrit-elle sur Facebook : « À propos du service de restauration sur le front durant les premiers jours de guerre. – Je ne sais qu’elle était la firme qui se chargeait du rationnement. Les plats, ils les ont fait parvenir tant bien que mal auxpostes de l’armée ; sur place, ils constatent que les postes ont explosé et qu’il n’y a personne pour la servir aux unités en place. Dans la mesure des informations en leur possession et la possibilité d’approcher les troupes,  ils ont livré les repas ; les troupes restantes ont été délaissées, jusqu’à qu’enfin la nourriture déjà plus consommable leur parvienne. Quelques jours plus tard, les employés du service ont quitté l’Artsakh car ils étaient dans l’incapacité de se déplacer en même temps que les troupes afin de leur apporter un repas chaud. Voilà comment s’est déroulé le ravitaillement alimentaire ! Qu’il la ferme donc, ce traître ! c’est intolérable et horrifiant ! ». 

L’ancien ambassadeur arménien au Saint-Siège (Vatican) Michaël Minassian, quant à lui, a évoqué ce problème dans une de dit « Vous rappelez-vous de ce coup de com’ que j’avais nommé «opération cueillette de fraises »[3] ? Le commandement de l’armée de défense du Gharabagh a demandé à Nikol Pashinyan d’épargner les troupes en première ligne de ce projet, et de le garder pour l’Arménie ; vous voulez servir des fraises à nos soldats? Faites, mais faites-le en Arménie. (…) Quand la guerre a commencé,  [les organismes chargés d’approvisionner les troupes], n’ont pas été – d’un point de vue purement objectif – en capacité de livrer non seulement les fraises, mais non plus la viande, ni le pain, et les troupes sont restées sur leur faim. »

  • À l’inverse de ses prédécesseurs et en tant que Premier Ministre élu démocratiquement par la voie révolutionnaire, Pashinyan exhibe son libéralisme et son autoritarisme de manière beaucoup plus frontale; ainsi a-t-il pu déclarer durant une de ses allocutions : « La pauvreté, elle est dans la tête des gens». Ainsi, a-t-il pu aussi -lors de sa visite au village de Kourtan — alors qu’une femme âgée ainsi qu’un jeune homme en mauvaise santé et contraint de vivre dans une caravane, l’ont interpellé au sujet de leurs logements respectifs, répondre à ce dernier : « Le cas de cette dame est différent de la tienne : c’est une dame seule. Toi tu es un jeune homme en forme, en bonne santé, ton problème de logement, c’est toi, en premier, qui doit le régler, et seul. Tu dois travailler et le régler seul. (…) Moi aussi, je n’ai pas eu de chez-moi. Comment est-ce que je l’ai eu ? (…) J’ai travaillé et je l’ai construit. J’ai fait moi-même ma propre maison.»[4]. Enfin, a-t-il pu, en totale infraction au code du travail, contraindre publiquement au licenciement d’un travailleur de la douane, au motif que le drapeau national était posé au sol, dans le coin de son bureau, et non pas dessus.[5]

L’une des dénominations les plus fréquemment attribuées aux détenteurs du pouvoir par l’opposition est celle de « brigands ». Le candidat à l’élection présidentielle de 2008 , Levon Ter-Petrossian, les qualifiait même de « Mongols – Tatares ».[6]  C’est durant cette même période que Nikol Pashinyan s’est fait connaître comme l’allié principal de Ter-Petrossian, et qu’il n’a, depuis, que le mot de « brigands » à la bouche pour désigner ses prédécesseurs.

Mais, ce qu’ils entendent par le mot de « brigand », personne ne s’y attarde. Tentons donc de le comprendre, car par « brigandage » on pourrait par exemple faire référence à la privatisation des entreprises nationales, et il faudrait, dès lors, rappeler que la part massive de ces privatisations ont été réalisées sous Ter-Petrossian.

Ainsi le journaliste Ara Martirossian écrit-il : « Du temps de Levon Ter-Petrossian – savoir jusqu’en 1997 – 4917 entreprises furent privatisées et les recettes totales de l’État n’augmentèrent que de  40,2 milliards de dram (près de 70 millions d’euros). À titre comparatif, notons qu’entre 1997 à 2007, autrement dit au cours des mandats de Robert Kotcharian – respectivement, celui de Premier Ministre puis de Président de la République —  il y eut 230 entreprises privatisées en moins et la recette de l’État atteint 122 milliards de dram et 108 millions de dollards (ou près de 52 milliards de dram en tout).[7]

Par exemple, l’immense usine de fabrication de vin de Yerevan fut privatisée en 1996 pour près de 100 000 dollars. Si l’on pose que s’approprier les recettes de l’État revient à du vol, c’est en toute légalité que les composants du pouvoir actuel volent ces recettes en s’offrant des augmentations de salaire ainsi que des primes (la somme des primes reçues au cours de 20 mois par les député.e.s et représentant.e.s du mouvement « Mon pas » s’élève à 108 millions de dollars).

2 – L’Artsakh, une question sociale et idéologique.

Cependant, la question de l’Artsakh est fréquemment instrumentalisée à des fins idéologiques, depuis ces dernières 26/27 années.

De fait, une composante de la vie politique arménienne semble penser que la pauvreté en Arménie est causée par le conflit avec l’Azerbaïdjan. Elle est convaincue – ou essaie de convaincre- que l’Arménie peut et doit entretenir des relations amicales avec ses voisins — la Turquie et l’Azerbaïdjan — pour qu’elle sorte du blocus et se développe rapidement, et qu’ainsi, à l’instar de l’Europe, d’anciens ennemis pourront vivre enfin côte à côte, en amis.

 Pour cela, il suffirait que l’Arménie ne provoque pas la Turquie avec les revendications de la Cause arménienne, et surtout, qu’elle fasse des concessions à l’Azerbaïdjan. Les esprits qui sèment ces idées sont donc prêts à vendre l’Artsakh et la Cause arménienne pour se payer l’amitié  de la Turquie. Les pionniers de cette théorie sont le premier Président de la République arménienne indépendante, Levon Ter-Petrossian, son entourage et les composants du pouvoir actuel (le parti « contrat civil » de Pashinyan qui finit par se séparer du Congrès National Arménien de Ter-Petrossian). Appelons-les les fraternalistes (en 2008, T.-P. arguait que, dans le temps, les Arméniens et les Azéris avaient des rapports fraternels). Les représentants de ces cercles politico-idéologiques, incapables d’avouer que la pauvreté en Arménie était la conséquence de leur politique économique libérale, estimèrent qu’il serait bon de mettre cette réalité sur le dos de l’Artsakh. « Rendons l’Artsakh et nous vivrons bien. » : cette mentalité commença à se diffuser de manière conséquente dans la société arménienne. C’est justement sur cette même théorie que s’appuie le choix de Ter-Petrossian d’opter pour le mode de « règlement du conflit par étapes »[8], au moyen duquel la ceinture de sécurité[9] aurait dû être cédée et la question du statut politique de l’Artsakh repoussée dans un avenir lointain.

Leurs contradicteurs idéologiques soutiennent, à l’inverse, que la cause réelle de la crise est une mauvaise politique économique, qu’aux temps d’Internet et du numérique, l’Arménie peut se développer même à l’intérieur de frontières fermées (Robert Kotcharian, intervention au Conseil de sécurité en 1998), et que l’Artsakh n’est pas un fardeau, mais au contraire une richesse, qu’il a besoin qu’on ait des projets concrets pour lui (toujours Kotcharian)[10], et que seul le combat pour la libération de l’Artsakh peut rassembler le peuple arménien autour de la construction d’un État solide et efficace qui lui permettra de garantir sa survie – car les peuples qui n’ont d’objectif que de survivre, ne survivent finalement pas (Vazgen Manoukian). Appelons-les les survivalistes : ceux qui prennent le devant et chassent le danger qui menace le pays.

Les survivalistes estiment que l’Arménie se situe dans une région géographique où, à cause de conflits religieux, ethniques, nationaux et géopolitiques, il est impossible qu’une paix durable s’y installe dans l’avenir proche. Les agitations et les remous qui ont pris fin en Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, font aujourd’hui surface au Moyen-Orient et dans les régions avoisinantes, et fécondent d’imprévisibles catastrophes. Si la vigilance défaille à l’égard de dangers potentiels, cela aura pour risque que l’on assiste à un second génocide du peuple arménien. Le danger imminent vient de l’Azerbaïdjan, puis de la Turquie, puisqu’elle ne reconnaît pas le crime ultime qu’elle a commis, et puisque, comme en écho à cette négation, elle ne reconnaît pas non plus le droit à l’auto-détermination du peuple artsakhiote. Par conséquent, il faut viser la reconnaissance internationale de l’auto-détermination de l’Artsakh, et quand les États turc et azerbaïdjanais se feront à l’idée que l’Artsakh est indépendant, il sera possible d’instaurer des relations avec eux. En attendant, pour continuer à défendre la juste quête de l’auto-détermination de l’Artsakh et pour la sécurité de l’Arménie, il est indispensable de développer la défense militaire, et cela implique nécessairement de consolider les liens de l’Arménie avec son seul allié militaire qu’est la Russie, afin de parfaire le système de défense. C’est sur ce terrain idéologique que se situent les milieux politiques pro-Gharabagh. À leurs têtes, Robert Kotcharian, mais aussi le mouvement d’opposition « pour le salut de la patrie » regroupant 17 partis dont le Dashnaktsoutioun (ou FRA, Fédération Révolutionnaire Arménienne), Une Arménie, l’ancien chef des services de défense Arthur Vanetsian et le parti « Patrie » qu’il dirige, l’ancien parti au pouvoir le HHK (Parti républicain d’Arménie), ainsi que le candidat du mouvement au poste de Premier Ministre, Vazgen Manoukian.

En 1998, les soutiens du projet d’auto-détermination de l’Artsakh renversèrent le gouvernement de Levon Ter-Petrossian, et le premier Président de la République d’Artsakh, Robert Kotcharian, devint le second Président de la République d’Arménie. Le pays, jusque-là plongé dans la misère, pris un essor considérable.

Voici quelques exemples qui étayeront notre propos : 

  • En quelques années, le PIB du pays a crû de 6 fois son niveau initial : en 1998 il était de 2 milliards de dollars, en 2008 il est de 12 milliards de dollars ; dans les années 2000 le taux de croissance du PIB était de 10,5 %. En 1998 le budget d’État était de 300 millions de dollars, dix ans plus tard il est de 2 milliards de dollars et son taux de croissance annuel moyen, de 12 % (entre 2000 et 2007 rien que dans l’élevage le PIB a progressé de 90 % durant les années, le cheptel[11]a augmenté de 32 %  et l’élevage s’est tellement accrue depuis 2000 que 20 % de la production commença a être exportée.)
  • En 1998 le taux de pauvreté dans le pays était de 55 % et celle de l’extrême pauvreté, de 22 %. 9 ans plus tard, en 2007, le taux de pauvreté a baissé jusqu’à 25 % (donc s’est divisé par deux) et le taux d’extrême pauvreté est arrivé à 4 %, c’est-à-dire qu’il s’est divisé par six.
  • Parallèlement à l’amélioration de la situation économique, l’émigration ralentit au point de disparaître pour un moment ; entre 2004 et 2006, on enregistre 35 400 entrées sur le territoire.
  • Il y eut aussi une modification considérable dans le processus de règlement du conflit du Gharabagh : en 2007 les Principes de Madrid enregistrent que la communauté internationale, en la personne des présidents du groupe de Minsk[12] a reconnu le droit à l’auto-détermination de l’Artsakh.

Mais après 2008, lorsque Serge Sarkissian – alors, collaborateur de Kotcharian — devint Président de la République, le pays est entré dans une phase de stagnation et le taux de pauvreté a de nouveau augmenté. En 2009, l’Arménie se situe en haut du classement des pays ayant vu leur PIB baisser durant l’année, et 300 000 personnes auront émigré durant les dix années suivantes.

C’est dans ces conditions, et alors que Serge Sarkissian espérait s’éterniser au pouvoir en occupant le poste de Premier Ministre après avoir changé la Constitution, que Nikol Pashinyan réussit, en s’appuyant sur le mécontentement généralisé de la population, à prendre le pouvoir et commencer parallèlement, à réaliser les aspirations fraternalistes. En avril 2018, Pashinyan promit de faire des concessions à Aliyev lors de leur rencontre à Douchanbé (Tadjikistan) : les armes se turent à la frontière. La télévision publique relayait alors les discours officiels du pouvoir en place pour « préparer les esprits à la paix »[13] ; l’épouse du Premier Ministre, Mme Anna Hakobyan lançait des appels à renoncer aux armes en brandissant des bijoux fabriqués à partir d’une fonte d’armes. Puis Pashinyan annonça qu’il renonçait à l’héritage des accords négociés jusqu’à son arrivée par ses prédécesseurs et qu’il allait reprendre tout le processus à zéro et à sa propre manière (https://www.youtube.com/watch?v=-CGtUWqCFys); il foula aux pieds

les accords de Saint-Pétersbourg et de Vienne obtenus après la guerre des quatre jours de 2016 qui assuraient le respect du cessez-le feu à la frontière, il renonça à l’idée d’un Artsakh auto-déterminé, clama haut et fort que « l’Artsakh c’est l’Arménie, un point c’est tout ! » ; bref, il provoqua l’impasse du processus de négociations, ce qui aboutit à la guerre des 44 jours et à notre défaite. C’est en conséquence qu’il signa, le 9 novembre, la déclaration de cette défaite.

Certains, comme Edvard Bozoyan (politologue) pensent que Pashinyan, conscient que l’opinion publique se dresserait contre lui s’il faisait des concessions en temps de paix, aurait poussé à la guerre, pour que ces concessions se fassent forcées, à son terme. Ce n’est pas un hasard, si, à peine la guerre terminée, les dépouilles des soldats tombés à peine inhumées, les représentants  du pouvoir commencèrent à évoquer la nécessité d’établir des relations diplomatiques et commerciales avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. En effet, le 29 novembre, le Ministre de l’économie nouvellement nommé, Vahan Kerobian, déclare :  « L’ouverture des frontières va nous élargir notre horizon, nos exportateurs pourront envoyer leurs productions vers la Russie et vers d’autres pays par des voies plus avantageuses que celles empruntées jusqu’aujourd’hui. Les ports commerciaux turcs vont s’ouvrir et cela va nous offrir de grandes opportunités. Peut-être que le marché azerbaïdjanais pourra nous ouvrir ses portes et que nous pourrons aussi ouvrir ceux de notre marché à l’Azerbaïdjan et nous allons avoir besoin de gens qui puissent en profiter. »[14] Tout cela, alors qu’au même moment, d’après différentes statistiques, 150 à 360 Arméniens sont tenus en otage dans des geôles azerbaïdjanaises…

Durant le débat international retransmis en visioconférence sur la chaîne de l’émission russe « Progranichnaya Zona »[15], le 2 février 2021,  une autre députée « Im qayle », Anoush Beghloyan, soutient que « cela n’importe pas de déterminer qui a commencé la guerre, ni de savoir à qui appartient historiquement le territoire de l’Artsakh, il faut regarder de l’avant et ne pas retourner aux débats interminables sur l’origine des attaques ». Et Pashinyan d’évoquer inlassablement l’opportunité que constituerait l’accès à la voie ferrée du Nakhidjevan (voir accords signés le 9 novembre), et de signer, le 11 janvier, un accord d’ouverture des routes avec l’Azerbaïdjan en déclarant que cette ouverture « va totalement changer la conjoncture économique de la région ».

Sortir du blocus turco-azerbaïdjanais est devenue une vraie obsession dans certains milieux d’oligarques arméniens et chez certaines des forces néolibérales qui s’y rallient; au point que même la tragédie que nous venons de vivre n’a eu aucun impact émotionnel sur les individus qui en font partie. Au contraire, ils considèrent que cette tragédie leur a permis de se débarrasser d’un fardeau et pouvoir ainsi circuler et commercer en Turquie et en Azerbaïdjan.


[1] Littéralement «Mon Pas » en arménien, mais qui serait mieux traduit par « Ma Marche », en référence aux marches organisées durant la « révolution de velours » en 2018 dont Nikol Pashinyan était la figure centrale.

[2] Voir l’article de Hrag Papazian (en arménien) : «Un régime d’imposition homogène : quelques mots sur l’argumentation gouvernementale et la justice sociale »

[3] En référence à la petite phrase de Nikol Pashinyan — « Nos soldats ont même le droit à des fraises ! » — pour vanter les bienfaits de sa politique en réponse aux dénonciations des mauvaises conditions de vie dans l’armée.

[4] https://www.aravot.am/2020/03/10/1099134/  La suite est : « Tu as vu que le secteur du tourisme est en croissance (…) toi tu es un jeune homme en forme : entreprends quelque chose, fais-toi un revenu et construis ton chez-toi. C’est le Premier Ministre qui doit le faire à ta place ? Je ne parle même pas du programme que nous avons mis en place pour faciliter le crédit hypothécaire pour les jeunes foyers, celui pour le retour de l’impôt sur le revenu, le programme « Travaille Arménie » ! Et un gars comme toi, enfin, mille excuses de le dire comme ça, mais c’est aussi une question d’honneur : un jeune homme en bonne santé comme toi, ça peut nous demander de régler ses problèmes pour manger, ses problèmes pour se loger ? Et nos difficultés à gagner notre pain, à nous, qui les a réglées ? Nous l’avons fait nous-mêmes à la sueur de notre front. Je n’ai pas construit des palais, j’ai construit un appartement trois pièces pour moi et ma famille. Finissez-en avec cette mauvaise habitude ! (…) Tout ça c’est par ce qu’on vous a appris des choses biaisées. Durant les élections [les autres] vous ont donné de l’argent ils vous ont promis des services, des endroits où vivre, etc. mais nous nous ne vous donnerons pas de pot de vin. »

[5] https://www.yerkir.am/news/view/173081.html

[6] (en référence aux pillages et invasions tatares et mongoles des territoires arméniens au XIIIème siècle ; « Tatars » était aussi le nom donné aux ethnies azéries dans la région de l’Azerbaïdjan actuel, avant 1918)

[7] Yerevan.Today | 90-ականների համատարած թալանն ու սեփականաշնորհումը․ ՄԱՍ 1

[8] Deux modes de négociation ont été proposés pour le conflit gharabaghiote : on les appelle respectivement « négociation par étapes » et « négociation globale ».

[9] Jusque novembre 2020 et depuis la victoire de 1994, les soldats arméniens contrôlaient les alentours des montagnes de l’Artsakh, montagnes qui constituaient principalement le territoire de la République d’Artsakh. Cette zone de contrôle s’appelait « ceinture de sécurité ».

[10] http://www.irates.am/hy/1561448125

[11] Cheptel : quantité de bétail

[12] Le groupe de Minsk a été créé par l’OSCE en 1992 pour encadrer le règlement pacifique du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les pays coprésidents sont la France, les États-Unis et la Russie. La Turquie fait partie des membres et a tenté plusieurs fois d’intégrer la coprésidence.

[13] https://168.am/2019/01/19/1070197.html — L’expression revient souvent dans les déclarations des coprésidents du Groupe de Minsk. On constate, néanmoins, que coté azéri, tuer un Arménien est identifié à un acte d’héroïsme par la propagande de guerre – ce n’est pas le cas en Arménie, même lorsqu’il y a propagande de guerre.

[14] https://news.am/arm/news/616152.html ; Le 1er décembre 2020, le député « Im qayle » Hayq Gevorqyan rétorque à une journaliste de la chaîne News Am qui l’interroge sur d’éventuels accords commerciaux avec l’Azerbaïdjan :   « Voyez-vous quoi que ce soit de mal à ce que nous pouvions vendre nos produits à l’Azerbaïdjan ? ». Un autre député du mouvement, Andranik Kotcharian, évoque également la nécessité d’établir des relations commerciales et diplomatiques avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. https://news.am/arm/news/617775.html

[15] https://www.youtube.com/watch?v=ix08iZdkHyk